Déclinaison du désir de mère.

A la lecture du titre du colloque, mes pensées se sont évidemment rapidement orientées vers les mères que je reçois en cabinet. Une, en particulier, m’a surprise par la façon dont elle gère  ses symptômes dans son quotidien et par la manière dont elle les lies à son enfant. A travers ce cas clinique s’est posée pour moi la question de l’articulation du désir de la mère et de la psychose. De quelle façon s’articule le désir de mère dans la psychose ? Comment le désir influe-t-il sur la relation d’une mère à son enfant ? Quels représentants du désir sont projetés sur l’enfant ? Voilà les questions auxquelles je vais m’intéresser aujourd’hui.

 

 

Etre mère c’est se confronter à son désir. Il se produit pour la mère, à ce moment-là, une réactualisation de l’Œdipe à travers le lien à son enfant. On suppose que la façon dont la mère a traversé l’Œdipe et s’est structuré aura une incidence sur le lien à son enfant, et particulièrement sur son désir à l’œuvre dans ce lien. En devenant mère, la femme doit assumer une position identificatoire remontant à son propre vécu œdipien qui se réactive à cette occasion. « L’enfant réveille en effet des représentations parentales refoulées avec leur cortège d’affects, du fait qu’ils s’identifient par un trait ou un autre, à leurs propres parents, à l’enfant qu’ils ont ou croient avoir été »[1].

 

Je vais dans un premier temps revenir sur la notion de désir. Qu’est-ce que le désir ?

 

Le terme désigne une poussée psychique visant à obtenir une satisfaction refoulée dont la trace est inconsciemment fixée. Le désir peut être employé au pluriel, il s’agit de toutes les poussées inconscientes considérées de façon isolée. Employé au singulier, il renvoie au désir du sujet, c’est-à-dire au projet inconscient que chacun nourrit au plus profond de lui-même et qui unifie les poussées précédentes. Freud l’emploie dès 1895, dans ses études sur l’hystérie.

 

Dans l’interprétation du rêve, il définit le désir comme « envie réprimée, mais aussi un vœu, un souhait »[2]. Le désir vise à rétablir le plaisir éprouvé selon des modes déguisés. Freud affine cette notion et l’associe à une représentation inconsciente chargée d’énergie sexuelle. Toute représentation qui se fixe dans l’inconscient est la trace d’une excitation éprouvée dans le passé et le désir vise alors à son réinvestissement actuel à la faveur d’une sollicitation du moment. Ainsi, dans la conception freudienne, c’est à partir de la perte, donc du manque, que naît le désir. Et les formations de l’inconscient, à savoir, les rêves, les lapsus, les symptômes, les actes manqués constituent les supports du désir.

 

Lacan donne une place déterminante et fondatrice au désir à travers l’attention qu’il accorde aux représentations et plus précisément aux signifiants. Il situe le désir au sein d’une trilogie, besoin, désir, demande. Le besoin vise un objet réel où trouver une satisfaction immédiate, la demande, au contraire, est adressée à l’autre pour susciter son attention et son amour. Enfin, le désir naît de l’écart entre le besoin et la demande. Il « s'ébauche (spécifiquement) dans la marge où la demande se déchire du besoin »[3] puisque la satisfaction  du besoin n’est jamais à la mesure de la demande. Il vise un objet imaginaire, fantasmatique et attend de l’autre une reconnaissance et non qu’il lui accorde son amour[4].  Pour Lacan, le désir est donc « le point essentiel où l’être tente de s’affirmer, c’est le soutien de l’existence »[5] et c’est dans les formations de l’inconscient qu’il est à rechercher puisque « le désir de l'homme est le désir de l'Autre »[6]. En outre Lacan articule le désir au fantasme au sens où le fantasme a pour fonction d’accommoder le désir du sujet. « Le désir humain, dit-il, a cette propriété d’être fixé, d’être adapté, d’être coapté, non pas à un objet, mais toujours essentiellement à un fantasme »[7].

 

Je vous propose de faire un pas de plus dans cette question du désir et de voir ce qu’il en est  d’un point de vue structurel et plus spécifiquement comment le désir se manifeste dans la psychose ?

 

Dans la névrose, c’est le manque d’objet qui rend opérant le désir, lequel se découvre dans les formations de l’inconscient tels le rêve, le lapsus, le mot d’esprit, le symptôme. Ce désir est donc « structuré à partir du manque, articulé à la demande et à l’objet, supporté sur le fantasme et de matrice œdipienne»[8]. Le sujet névrotique a un rapport fantasmatique à son désir, étant donné que le fantasme est le support de celui-ci.

 

La situation est différente dans la psychose. Il n’y a pas de castration symbolique, pas de problématique phallique, pas de métaphore paternelle dit Lacan. Il parle d’un désir non symbolisé, c’est-à-dire sans l’orientation du phallus comme signifiant du manque. Le désir peut être porté par d’autres signifiants. Lacan ne dit pas qu’il n’y a pas de désir dans la psychose mais que ce désir de l’Autre, nommément la mère, n’est pas symbolisé[9] (car c’est la métaphore paternelle qui produit la symbolisation). Il s’agit d’un désir non bordé, non limité par l’instance paternelle. Bien que les formations de l’inconscient existent tout autant chez le psychotique que chez le névrosé, j’en arrive à la question suivante : y-a-t-il une spécificité de l’expression du désir dans la psychose ?

 

Dans l’article, « La perte de la réalité dans la névrose et la psychose »[10], Freud dit, dans un premier temps, que « le rapport à la réalité » est conservé dans la névrose et perdu dans la psychose. Or, il observe que, dans les faits, le rapport à la réalité n’est pas vraiment conservé dans la névrose. La réalité est mise à distance par des phénomènes de compensation, qu’il nomme « la formation de fantaisies ». Freud identifie ce monde des fantaisies comme étant une sorte de « magasin à provisions dans lequel on va chercher le matériau ou les patrons pour la construction de la nouvelle réalité »[11].

 

Dans la psychose, il se produit un phénomène analogue. La création des fantaisies, indépendante des exigences de la réalité, est donc de ce point de vue comparable à la production des délires et des hallucinations. Une similitude existe dès lors, entre la névrose et la psychose, non seulement du côté de la perte de la réalité psychique, mais également du côté  de la création de substituts de cette réalité perdue. Freud postule donc la nécessité de ces « inventions » du fantasme comme « réalité psychique ».

 

Lacan rejoint Freud sur l’existence de fantaisies dans la psychose. Dans le séminaire III sur les psychoses, il définit l’hallucination verbale comme « une fantaisie, mais à la différence de la fantaisie, ou du fantasme, que nous mettons en évidence dans les phénomènes de névrose, c’est une fantaisie qui parle, ou plus exactement c’est une fantaisie parlée »[12]. L’hallucination est une autre voie d’expression du fantasme et donc du désir inconscient du sujet. Dans la psychose, le fantasme n’apparaît pas dans l’imaginaire mais dans le réel, sous la forme du délire et des hallucinations qui sont les projections des signifiants du désir dans le réel. En effet, l’hallucination correspond au rejet hors de l’univers symbolique du sujet, d’un signifiant fondamental, qui fait retour au sein du réel. Ce qui aurait dû être symbolisé, ne l’est pas. Dans la psychose, l’échec de la métaphore paternelle ne permet pas que le réel, le symbolique et l’imaginaire soient noués ensemble. Il y a un retour dans le réel pour le psychotique, là où le névrosé ne cesse de fantasmer.

 

Alors que dans la névrose, le désir se réalise sur le plan symbolique, dans la psychose, il est transcrit dans un imaginaire délirant (mais bien réel pour le sujet). Le délire psychotique serait un homologue du fantasme névrotique dans sa fonction de support du désir. Le délire peut dévoiler l’ambivalence du désir de la mère, entre amour et haine.

 

Dans la psychose, le désir trouve à s’exprimer de diverses façons. D’une part le sujet n’est pas psychotique de façon permanente, la voie du fantasme lui est ouverte. D’autre part, la spécificité de l’expression du désir psychotique prend la voie du délire et des hallucinations.

Je vais maintenant éclairer mon propos d’une illustration clinique.

 

 Retrouvez l’intégralité du texte dans la revue du RPH, disponible ici

 


[1] Raffy, A. La théorie psychanalytique et l’enfant,  L’Harmattan, Paris, 2009, p. 263.

[2] Freud, S. L’interprétation du rêve, chap. VII, Editions du Seuil, Paris, 2010.

[3] Lacan, J. Subversion du sujet et dialectique du désir dans l'inconscient freudien, in Écrits, Editions du Seuil, Paris, 1966, p. 814.

[4] Lacan, J. Le Séminaire, Livre V, Les formations de l’inconscient, Editions du Seuil, Paris, 1998.

[5] Lacan, J. Le Séminaire, Livre VI, Le désir et son interprétation. Inédit. Séance du 12/11/1958.

[6] Lacan, J. Subversion du sujet et dialectique du désir dans l'inconscient freudien, in Écrits, Editions du Seuil, Paris, 1966, p. 814.

[7] Lacan, J. Le Séminaire, Livre VI, Le désir et son interprétation. Séance du 12/11/1958.

[8] Lippi, S. De l’hallucination à la fiction : voyage à l’intérieur du désir et du délire psychotique, clinique lacanienne, 2014/1 (n°25).

[9] Lacan, J. Le Séminaire, Livre V, Les formations de l’inconscient, Editions du Seuil, Paris, 1998, p. 480.

[10] Freud, S. (1923-1925) La perte de la réalité dans la névrose et la psychose, in OCF. P, vol. XVII, PUF, Paris, , 1992, , pp. 37-41.

[11] Freud, S. La perte de la réalité dans la névrose et la psychose, op. cit., p. 41.

[12] Lacan, J. Le Séminaire, Livre III, Les psychoses, Editions du Seuil, Paris, 1981p. 165.